Point de vue 1.

G. Colomar. Professeur de Philosophie. (Bayonne). 2015.

Le bestiaire ne concerne pas les animaux mais l’homme qui les regarde, en ce sens il nous instruit toujours davantage de celui-ci que de ceux-là: comme dans un test projectif l’homme s’identifie ou contre-identifie à tel ou tel. Dans ce jeu de miroir symbolique la place accordée au “cochon” dans notre culture n’est pas glorieuse et l’héraldique célèbre le lion et l’aigle mais pas le cochon: tout est à jeter dans le cochon affecté du sceau de l’infamie … sauf sa chair délicieuse mais alors il change de nom et devient “porc”. Aussi lorsque le Christ chasse les démons d’un possédé ce sont des pourceaux qui en sortent: l’animal devient l’archétype de la bestialité.

C’est pourtant lui qu’ Alain Jouve a choisi de magnifier dans des portraits singuliers hauts en couleurs: le cochon dans sa gloire, en majesté. Il commence par porter sur lui un regard de cousin fraternel et sensible car c’est “le mal aimé” , l’injustement réprouvé et sacrifié, dont il veut faire la rédemption. Il y a de l’humour dans cette “PEINT’HURE” mais ce n’est que la discrétion d’un timide, voire la politesse “d’un écorché vif” mettant à distance tout pathos. Alors l’approche de l’animal se fait en un rituel qu’il a codifié ( “l’artiste donne ses règles à l’art” Kant.): Il doit le rencontrer chez lui (cartes qui témoignent du lieu), le choisir et le trouver sympathique (s’identifier à son alter ego ?), le photographier en se mettant à son niveau … Tous les tableaux obéissent ainsi à des règles: le “portrait majeur” est carré pour le stabiliser et apparait sur un fond quasi-monochrome pour l’exhausser et lui donner plus de présence. Tel qu’en lui même, révélé au regard de tous, le cochon,ce réprouvé, a droit à un portrait plein cadre et à son heure de gloire !

En commentaire décalé et souriant apparaissent quatre petites fenêtres, toujours en dessous du portrait majeur (comme la prédelle d’un retable), en un polyptyque profane faisant référence à la culture populaire relative au cochon: jouets (…) dessins de BD, publicités d’emballages, figurines trouvées dans les devantures des boucheries, charcuteries ou restaurants, objets divers mais qui témoignent affectueusement, malicieusement aussi, de la vie quotidienne et, souvent, du monde de l’enfance. “Objets inanimés avez-vous donc une âme ?”: oui, celle de la personne à qui ils appartenaient, des petits talismans ou des grigris délaissés auxquels il donne une seconde vie. Il les immortalise en un clin d’oeil: nouvelle rédemption de ceux promis à l’oubli ou à la poubelle. Récupération de l’évanescent, de l’inessentiel – marginalisé par une société de consommation qui démode toute chose aussi vite qu’elle la promeut – mais pour lui ,peut-être, l’ essentiel car c’est par là qu’il veut commencer son prochain tableau: un “petit cochon” offert comme prétexte par son futur acheteur.

Mais cette “marge du bas”, ces quatre petites fenêtres, sont-elles vraiment “marginales” et anecdotiques ? Je ne le crois pas. Elles ne sont pas une “distraction du regard” de l’essentiel qui serait le portrait majeur, elles sont un contrepoint harmonique d’un même thème: le salut.

Qu’on me comprenne bien, je ne veux pas ramener cette oeuvre au religieux – quoiqu’il y aurait matière à réflexion sur le sacrifice de la bête saignée, ébouillantée, crucifiée, ouverte, offerte, consommée – mais au “sacré” que l’on approche que par des rites scrupuleux, répétés et obsessionnels. mais pour conjurer quelle angoisse ? L’un des derniers triptyques répond peut-être à cette question en faisant directement référence aux “vanités”: un crâne de porc se reflète dans un miroir. C’est toujours un portrait mais il n’apparait plus sur un fond monochrome tonique. Bleu et blanc dominent ici et le froid glacial s’installe. Serait-ce la vérité, l’essence de tous les portraits: sauver de la mort et de la disparition ?

Il y a donc bien un même thème mais sur deux modalités: sauver de l’oubli et du mépris non seulement dans le “portrait majeur” (sérieux et objectif) mais aussi dans les remarques apparemment marginales (facétieuses et amusantes).  (…) Reconnaissons que son discours est d’une rare cohérence et compose un ensemble superbe: un hymne à la vie et au cochon, tonique, dynamique, souriant, une réhabilitation triomphante d’un mal aimé mais avec, en petite tonalité discrète, la nostalgie de l’enfance et la conscience crue du temps qui passe et de l’urgence de l’oeuvre.